Dans la peau d’un jeune Guinéen trafiquant de motos vers le Sénégal

Article : Dans la peau d’un jeune Guinéen trafiquant de motos vers le Sénégal
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30 août 2015

Dans la peau d’un jeune Guinéen trafiquant de motos vers le Sénégal

La moto de Mamadou Oury chargée de marchandises. Crédit photo : Habib
La moto de Mamadou Oury chargée de marchandises. Crédit photo : Habib

Le trafic de motos de marques chinoise et indienne vers les pays limitrophes de la Guinée est devenu une pratique courante chez de nombreux jeunes qui peinent à trouver un emploi décent. Dans l’optique d’observer ce milieu, j’ai pu m’approcher de Mamadou Oury Diallo, âgé d’une vingtaine d’années et adepte de l’activité qui, après des échecs répétés, a abandonné ses études.

Bienvenue dans un monde où rien n’est impossible sur le chemin

En l’absence d’emploi pour de nombreux jeunes, le trafic de motos est devenu mon activité principale. Je transporte les engins vers le Sénégal, le Mali, voire même la Mauritanie. La veille de mon départ, je me lève très tôt pour aller retrouver mes copains dans un endroit de ventes afin d’acquérir les motos dont le coût unitaire s’élève à plus de quatre millions de francs guinéens (environ 450 euros).

Après l’achat, je fais un détour vers les garages pour procéder au montage d’un seul engin parmi la quantité achetée. Dans ce garage, je paie plus de trente mille francs guinéens le montage de la moto et plus d’autres dépenses non comptabilisées. Mais certains d’entre nous sont des garagistes, donc ils montent eux-mêmes leurs motos.

Le poids de la moto, c’est à imaginer…  

Le jour de mon départ, je mets une moto dans un carton sous forme de pièces détachées. Les huiles de moteur et autres pièces de rechange constitueront mes principaux bagages. Le poids de la moto, c’est à imaginer.

Pour éviter les affres sur le chemin, j’achète une quantité importante de nourriture (appelé “bole” dans leur jargon) qui sont entre autres : pains, sardines, jus et eaux.  Avec un ventre plat, ça serait très difficile pour moi d’atteindre ma destination.

Début de la contrebande

Des phares allumés en pleine nuit. Crédit photo : Habib
Des phares allumés en pleine nuit. Crédit photo : Habib

Après une distance de plusieurs dizaines de kilomètres, j’arrive à la frontière guinéo-sénégalaise où se trouve un poste de contrôle guinéen. Pour le franchir, je dois débourser la somme de vingt mille francs guinéens. C’est le droit de passage.

Entre la préfecture de Labé et Kédougou (en territoire sénégalais) qui est l’une de mes destinations gratifiées, c’est plus de 290 kilomètres.

En plus des routes impraticables, je dois faire face à la police et douane sénégalaises allergiques à la corruption.  Avec ces deux unités, par la voie légale, je suis soumis au paiement de plus de cent mille francs CFA (selon la quantité ) alors que la moto n’en vaut qu’entre quatre cent mille et quatre cent cinquante mille francs CFA.  Pour mes amis et moi , le montant à payer est trop important, alors nous optons  pour la contrebande qui n’est autre que le passage par la brousse.

Il faut être un homme audacieux pour se lancer dans ce trafic

Dans un premier cas, si la douane sénégalaise me poursuit et que je me fais appréhender, alors adieu ma moto et consorts. Dans le second cas, mes amis me faucheront, car s’ils mettent mains sur moi, je risque un long séjour carcéral. Il faut avoir le cœur solide quand on se livre à un commerce frauduleux.

Je passe la nuit en brousse et traverse des fleuves et marigots. De surcroît, je risque de me faire dévorer par des animaux sauvages au niveau du Parc national de Niokolokoba au Sénégal.

 

La brousse est toujours ma route privilégiée

J’y vais deux à trois fois par mois. Au début, je ne voulais pas me lancer dans cette activité peu rentable, où les difficultés n’en finissent jamais. Si j’ai fini par craquer pour cette activité, c’est parce que la conjoncture économique actuelle du pays n’est pas bonne. Toutefois, j’arrive quand même à subvenir à mes besoins primaires. Dieu merci.

Malgré tout ce que j’endure, je n’ai pas d’autre choix vu le taux élevé du chômage auquel le pays est confronté. La plupart des indicateurs économiques sont au rouge. Dans cette situation, l’espoir est très mince. Chômage oblige, je suis dans ce trafic depuis plus de trois ans.  La brousse est toujours ma route privilégiée.

Mon grand regret : l’abandon de mes études

Je ne conseille à personne un tel job et de quitter l’école pour quoi que ce soit. Actuellement mon grand regret est d’avoir abandonné mes études.

 

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