Abdoulaye Bah : «La Guinée ne peut échapper à l’expansion d’Internet.»

Article : Abdoulaye Bah : «La Guinée ne peut échapper à l’expansion d’Internet.»
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28 octobre 2015

Abdoulaye Bah : «La Guinée ne peut échapper à l’expansion d’Internet.»

Abdoulaye Bah , crédit photo : FB

Abdoulaye Bah – @abkodo2 sur Twitter – est connu pour être le doyen des Blogueurs Guinéens. Ce septuagénaire maîtrise les outils numériques comme un web-activiste du Printemps arabe. Retraité des Nations unies et de l’Onudi, M. Bah n’a pas attendu longtemps pour trouver une activité à exercer. Sur Global Voices et Konakry Express, il écrit des articles, traduit des billets de blog, publie des extraits de livres sur le régime dictatorial du président guinéen.

Militant des droits humains, il se sert également d’Internet pour lancer des campagnes contre des chefs d’État oligarques d’Afrique. Des personnes parmi les plus riches du monde pendant que la majorité de leurs concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté.
Dans cette interview qu’il a accordée à mon blog YitéréTech , il évoque ce qui lui a permis de se reconvertir dans le bloguing, et donne son analyse sur le progrès numérique en Guinée.
Bonjour veillez-vous  présentez s’il vous plaît à nos lecteurs ?
Mon nom est Abdoulaye Bah, originaire de Djelitorghel, Gongoré, Pita. Je suis le fils aîné d’Amadou Baillo, victime de la dictature de la Première République. J’ai des formations en statistique, démographie, journalisme et gestion des entreprises. Je suis retraité des Nations unies et de l’Onudi, l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel.
Comment a débuté votre aventure sur les réseaux sociaux ?
Pour éviter des problèmes domestiques ! Non, ce n’est pas une blague ! Comme dans de nombreux foyers, la gestion de la télécommande de la TV peut parfois générer des problèmes.
Ma femme aime regarder les films et les séries, tandis que moi je préfère les débats, les documentaires et le sport. Pour arrêter les discussions incessantes chaque soir, j’ai fini par prendre l’habitude d’ouvrir mon ordinateur portable devant la TV pour la laisser regarder ce qu’elle veut. A un moment, je me suis dit que je pouvais exercer une activité professionnelle utile, même à titre gratuit sur Internet.
À force de chercher, je suis tombé sur globalvoicesonline.org, un réseau social qui regroupe des personnes du monde entier qui écrivent sur des sujets qui les intéressent. Elles traduisent aussi des articles publiés dans des blogs qui traitent de problèmes que les médias traditionnels négligent ou ignorent ou encore présentent de manière biaisée. Le réseau publie des articles, des billets ou des commentaires des internautes dans quelque 35 langues. Pour ce réseau, j’ai écrit ou traduit à ce jour 1 200 articles en français, une cinquantaine en anglais et italien.
Parmi mes domaines de prédilection, il y a : les droits humains, la promotion de la femme, la dénonciation de la dictature et de l’impunité, etc., au niveau mondial. En ce moment, j’ai deux pétitions que je cherche à promouvoir adressées au pape François pour lui demander d’excommunier 5 dictateurs africains. Il s’agit des hommes qui sont restés le plus longtemps au pouvoir et ont constitué des oligarchies voraces à leur seul bénéfice.
Leurs peuples vivent dans de mauvaises conditions et aucun de ces pays ne remplira tous les objectifs du millénaire du développent (OMD). La plupart ne rempliront pas un seul de ces OMD.
À la suite des massacres du 28 septembre 2010, Claire Ulrich, la coordinatrice du groupe francophone, m’a encouragé avec insistance à créer le blog https://konakryexpress.wordpress.com.
Au début, ce blog devait signaler les abus décrits par des témoins se trouvant en Guinée. Par la suite, le blog a évolué vers la publication d’extraits des livres écrits par d’anciens prisonniers du camp Boiro ou par des auteurs qui se sont penchés sur ce sinistre mouroir de la révolution du président Sékou Touré. Leur objectif : faire connaître aux jeunes ce qui s’est passé dans notre pays au cours de ces années de terreur, dont notre peuple continue à subir encore les conséquences.
De temps à autre, Bah Mamadou Lamine, grand reporter au Lynx, m’envoie des articles publiés par son journal, mais dont il veut partager le contenu avec un plus grand nombre de lecteurs. D’autres amis aussi m’envoient des articles, par exemple Nadine Bari. Sur ce blog j’ai déjà publié près de 600 articles.
J’utilise également Facebook et Twitter pour participer à des discussions ou je lance aussi des débats sur des sujets d’intérêt général.
Quelles opérations mettez-vous en place pour animer votre communauté ?
Les médias sociaux offrent aujourd’hui un grand avantage. Lorsque vous avez un blog, ce sont les serveurs eux-mêmes qui distribuent ce que vous voulez partager avec vos abonnés sur Twitter ou Facebook. Donc, une fois que j’ai lu un article intéressant je peux le signaler à ces amis. Il s’en suit des discussions. Lorsque je publie un article sur mon blog, c’est wordpress.com qui le distribue immédiatement à tous mes contacts.
En outre, avant la généralisation de l’usage de Facebook et de Twitter, j’avais des adresses dans ma boîte de courriel. Souvent, j’informe les personnes qui y figurent de la publication d’articles. Je fais aussi partie du réseau de traducteurs et de blogueurs,globalvoicesonline.org, c’est ce réseau qui se charge de la distribution des articles que j’écris ou que je traduis.
Comment mesurez-vous vos résultats par exemple à travers votre blog ?
Là aussi, je fais confiance aux fournisseurs de services des réseaux sociaux qui tiennent le décompte des visites et fournissent les statistiques pour les blogs et le nombre des « j’aime » sur Facebook; Twitter aussi signale les commentaires ou les retransmissions par mes amis de mes messages.
De quelle manière travaillez-vous au quotidien ?
Étant retraité, je dispose de beaucoup de temps. En outre, le fait d’avoir voyagé et vécu dans plusieurs pays m’a permis de maintenir les liens d’amitié avec mes anciens collègues ou d’autres milieux. Ce qui fait qu’en ce moment, à Rome où je vis principalement, je ne connais que les membres de ma belle-famille et quelques militants de mon parti politique.
En effet, c’est un endroit où je ne vivais plus de manière continue depuis la fin de mes études et de mes premières expériences professionnelles.
Mon temps se divise entre mes activités sur les réseaux sociaux, les visites à des musées, la participation à des conférences, les promenades dans les rues de cette ville qu’est Rome ou aller au cinéma ou à des concerts. Je cherche à donner la priorité à ces autres activités, car elles me mettent en contact avec la réalité en dehors du monde virtuel.
Selon vous quels sont les principaux facteurs qui entravent le décollage de la Guinée dans le domaine des nouvelles technologies ?
Tant que les problèmes de l’accès aux services et en particulier à l’électricité ne seront pas résolus, il sera difficile de voir les réseaux sociaux se développer en Guinée.
Du point de vue des technologies, la Guinée est encore très en retard sur la plupart des autres pays africains. En effet, tandis que le taux moyen de pénétration d’Internethttps://www.internetworldstats.com/africa.htm#lr en Afrique était, en 2012, de 21,30 % et pour Facebook de 4,80 %, en Guinée, ces taux étaient respectivement de 1,6 et de 0,6 %.
Même, un pays comme l’Érythrée qui détient dans de nombreux domaines des records négatifs au niveau africain, en particulier en matière de liberté d’expression, a atteint un taux de pénétration d’Internet (5,9 %) supérieur à la Guinée.
Du point de vue économique, il y a la pauvreté qui fait que même une heure de connexion dans un cyber café est au-dessus des moyens du citoyen lambda.
Quel est le rôle de la jeunesse guinéenne dans ce combat ?
Malheureusement, les clivages ethniques empêchent de nombreux Guinéens d’avoir un impact positif dans les médias sociaux. En outre, surtout parmi les garçons, le copier/coller sans l’apport d’une analyse ou d’un commentaire personnel est très répandu.
L’internet a-t-il un avenir en Guinée ?
La Guinée ne peut pas échapper à l’expansion d’Internet, comme le reste du monde. Son essor sera retardé par celui dans d’autres domaines, des applications d’Internet dans la vie courante seront lentes, mais il n’y a aucun doute que les réseaux sociaux ont un grand avenir en Guinée.
La téléphonie mobile est un outil qui peut se révéler très utile dans la vie quotidienne, même dans les conditions difficiles actuelles de notre pays. Elle peut faciliter les échanges commerciaux, le transfert d’argent la mobilisation autour de thèmes politiques ou sociaux.
Vos mots de la fin…
Le prix de la Fondation qui porte le nom du président Chirac a été remporté par une jeune Tunisienne. Mon espoir est de voir un jour un Guinéen emboîter ses pas. Une association des blogueurs de Guinée @ablogui vient de naître grâce à l’initiative de jeunes qui vivent dans notre pays. J’espère que leur entente ne sera pas troublée par des intérêts partisans et qu’ils pourront contribuer au développement d’une blogosphère dynamique.
Interview réalisée par Sally Bilaly Sow
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